André Dartevelle
Ancien reporter à la RTBF, cinéaste, historien, critique
La ronde de la remémoration et de ses fantômes
Mon film Leni1 a été réalisé en 2004. Il décrit le traumatisme vécu par des enfants lors de la dernière offensive allemande en Ardenne, très meurtrière, en décembre 1944. Si la guerre est la toile de fond de mon film, l’essentiel n’est pas là, je me suis intéressé à quelque chose de plus souterrain, le cheminement de la mémoire. Comment ces enfants devenus des adultes ont-ils géré la hantise des horreurs qu’ils ont vécues, comment la gèrent-ils devant le réalisateur et son équipe de tournage ? Certains de mes témoins se sont servis de la caméra comme d’un médium non pas de communication, mais d’exorcisme. Le tournage a été pour eux l’opportunité d’un dépassement. J’ai pu saisir toute une gamme d’attitudes et de mémoires au travail sur les traumatismes subis dans ces massacres. Je reviendrai sur ces différences de mémoire.
Au départ, mon film était une commande d’Arte Strasbourg, dans un contexte médiatique et commémoratif. La chaîne voulait marquer le soixantième anniversaire de la Bataille des Ardennes. Les producteurs m’ont laissé très libre mais ils m’ont imposé une exigence : évoquer l’histoire de la bataille en plus du reste. Le reste, c’étaient mes témoins, c’est-à-dire, pour moi l’essentiel. Le type de travail que je mène avec eux s’assortit assez mal avec une narration historique classique. J’ai dû m’adapter. Au lieu de parcourir les événements meurtriers avec un regard distancé d’aujourd’hui, je me suis placé au cœur de ces événements en laissant parler mes émotions comme si j’étais intérieurement témoin à l’époque des faits. J’ai voulu rapprocher l’histoire et l’introspection dans une sorte de continuité émotionnelle. En réalisant ces séquences excentrées, j’ai tenté de trouver une sorte d’équivalent en images au travail de mémoire de mes personnages, ce que les psychanalystes appellent la perlaboration, la remémoration difficile, douloureuse de souvenirs refoulés2.
Après de longs repérages, j’ai choisi de mettre au centre des tournages un groupe de témoins exceptionnels. Des adultes originaires des faubourgs de Stavelot. Ils se connaissaient tous. Dans leur enfance, de trois à sept ans, ils avaient vécu une expérience des confins qui a pesé sur leur vie ultérieure et l’a parfois menacée.
Leurs parents ont été massacrés devant eux par de jeunes SS fanatisés. Je ne voulais pas leur consacrer l’entièreté de mon film. Mais au cours de la réalisation, ce film a dérivé complètement. Il a même littéralement éclaté sous le poids de la participation de ces anciens enfants martyrs. Ils avaient plus d’une soixantaine d’années au moment des tournages.
Les séquences où j’ai pu saisir à vif cette mémoire au travail ne sont que des instants, intenses mais brefs. Des ouvertures sur l’inconnu, des moments de vérité3.
Le but de mon film n’est pas vraiment d’émouvoir sur le sort de victimes des guerres du XXe siècle, ni de lutter contre l’oubli, mais plutôt contre l’indifférence par rapport à des crimes contre l’humanité qui se sont passés sur notre territoire et qui hantent les vies des victimes ou des descendants des victimes. De saisir, de montrer des usages et des abus de la mémoire, sans jamais juger, en me focalisant si possible sur la remémoration, ce long travail sur soi qui peut mener à l’émancipation, à une mémoire apaisée et juste4.
Avec le premier témoin, Marcelle, on plonge dans une mémoire centripète qui ressasse, qui tourne en rond, soumise au mécanisme de répétition. Le passé déborde sur le présent, il ne se cherche pas un avenir. Il y a abolition de la distance temporelle. Les Allemands restent les boches. Ce qu’ils ont fait, ils le referont. Marcelle n’a pas tranché les liens, elle reste sous l’emprise de l’objet perdu, sa mère. Elle n’a pas réussi à faire un travail de deuil, l’œuvre de sépulture qui l’aurait libérée et apaisée.
L’autre témoin à côté de Marcelle, Louise, est une femme très dévouée qui a animé un comité du souvenir. Elle est forte, équilibrée, elle domine sa famille. Elle a refusé d’évoquer les conséquences pour elle de l’assassinat de sa mère et plus tard de la disparition de son père. Sa jeunesse a été saccagée. Il y a blocage affectif sur le souvenir de ses parents, qui se répercute sur tous ses proches. Le visage de sa mère est effacé, elle l’a dit dans le film, tout en me tendant une belle photo d’elle !
Elle a pourtant réussi sa vie, mais elle a fondé une famille en censurant l’histoire de la sienne. Elle a cru pouvoir repartir à zéro. Recréer un destin familial positif, en ignorant le passé. Est-ce qu’elle apparaîtra à ses petits-enfants comme un parent hors du commun qui permettra de recréer un mythe familial, à combler la brèche ouverte par le massacre ? Je n’en sais rien.
En 2011, j’ai commencé un film assez voisin, mais plus systématique sur la mémoire des atrocités allemandes du mois d’août 1914 en Belgique, avec les descendants des victimes du dernier été de l’Europe de la paix et de la sécurité. Beaucoup de mes témoins sur ces atrocités d’août 1914, à Dinant notamment, ont évoqué cette sorte de vide, ces parents massacrés dont on ne sait rien et dont on ne veut rien savoir, sur lequel bute leur désir de reconstruire une filiation valorisante, une identification au groupe. Ils disposent néanmoins de plus de recul pour évaluer les dégâts dans leur histoire familiale des massacres de leurs aïeux, que mes témoins de 1944 ; c’est un mince privilège !
Louis et Jean. Leur témoignage étonne et gêne.
Je n’oublierai jamais leur premier témoignage, le premier que j’ai filmé. Cela se passait le lendemain du jour de Noël : un couple, Jean et Louise, un peu plus de 70 ans, m’invite avec insistance à filmer la cérémonie annuelle dans leur village près de Bastogne, en hommage aux victimes de la guerre. Une partie de la population avait été massacrée par l’aviation alliée pendant la bataille. Toute la famille du mari, Jean, a été décimée sauf lui. J’ai filmé la cérémonie dans le brouillard, la neige était tombée. Il régnait sur le village une ambiance extraordinaire. Après la cérémonie, le couple me retient à dîner. Linda me demande ou plutôt me commande de filmer leur interview. « J’ai quelque chose d’important à vous dire, faites-le maintenant. Après, ça n’ira plus». J’étais réticent, mais j’ai cédé. J’ai filmé moi-même l’interview de Louise et Jean. Le jour même où les frères et les sœurs de celui-ci avaient perdu la vie 60 ans plus tôt, au même endroit, dans la même maison. Elle m’a parlé d’une traite dans une lumière de solstice déclinante. L’obscurité est tombée d’un coup, tout s’est passé dans un climat à forte densité spectrale.
Louise a vécu une jeunesse sans problème dans un village voisin de celui de son mari. Elle a assisté à des combats en décembre 44 mais comme à un spectacle. Sa famille n’a pas vraiment souffert de l’offensive. En venant cohabiter en 1946 avec son mari dans une maison en ruines, avec le poids d’une famille anéantie, elle s’est sentie culpabilisée. Une étrangère en quelque sorte, tolérée mais mal acceptée. Les bruits de jeux d’enfants dans le grenier et la cage d’escaliers, les rires, les cris, n’étaient-ce pas ceux de ses propres enfants ? Elle a eu peur que ces bruits ne fussent parfois ceux d’autres enfants, ceux que les bombes ont privés de la vie et des jeux. Il y a eu une sorte de substitution terrible. Il lui a semblé qu’il lui fallait payer et mériter sa place dans la maison. Elle a réagi en s’imposant un vrai travail de mémoire sur les petites victimes. Ce travail est devenu un devoir tenace.
Elle a voulu soulager son mari et se décharger. Ses propres enfants grandis et mariés avaient quitté la maison. Mais les cris et les jeux continuaient aux étages supérieurs. Pour elle, la confusion n’était plus possible. Après 35 ans de cohabitation, elle a commencé un exorcisme en écrivant l’histoire de ce drame, dans une plaquette éditée. Mais ce texte ne l’a pas entièrement satisfaite. Du moins, je le crois. Elle ne s’attardait pas sur chacun des enfants, c’était sec, trop rapide.
Quand les commémorations du soixantenaire ont approché, nous sommes passés par là avec un projet de film. Elle a saisi l’occasion, elle nous a saisis et l’exorcisme a repris avec nous. Nous avons été moi et mon équipe les médiums. Elle a voulu empoigner et éloigner le mal, la souffrance, la hantise, les enfants et les passer à un tiers, les transférer vers autrui, les faire endosser par la collectivité. Notre film a servi d’outil d’exorcisme. Que les spectateurs participent, qu’ils soient solidaires, qu’ils prennent le souvenir des enfants, c’est une cause humaine.
Cette expérience avec Louise a été extrême. Les fantômes apparaissent dès 1946 et chaque fois, les grands anniversaires et les commémorations qui les marquent, relançaient la question de la transmission d’une mémoire privée, captive.
Les troublions fantômes sont des doubles parce que Louise et Jean se sont enfermés à propos du drame dans une relation de soi à soi, chacun de son côté. Ils se sont heurtés à l’altérité absolue des enfants disparus. Le dédoublement fantasmatique s’est alors opéré chez Linda entre ses enfants et les enfants perdus, ses beaux-frères, ses belles-sœurs.
Les fantômes ont doublé ses propres enfants. Et le conflit entre elle et eux était un conflit d’ordre territorial. Les morts sont revenus chez eux pour disputer leur territoire à Louise. Ces enfants ont une force qu’elle n’a pas: celle du désordre. Désordre dans son ménage, son couple, sa maison5 ! Car ils sont nés de la violence, de la guerre, du prix du sang, de l’expulsion de la vie, de leur foyer. Ils ont perdu tout ce qui les apparentait à une parenté, un groupe, un lieu. Ils sont des êtres du non-lieu. Entités étrangères, identités effacées6.Et pourtant, nous confie Louise, ces êtres du non-lieu sont revenus dans la maison. Pourquoi ? Louise et son mari ne les ont-ils pas rappelés, en se soumettant à l’emprise obsessionnelle de ces jeunes vies perdues ? Vous êtes chez vous, leur a-t-elle crié dans une séance d’exorcisme où elle leur demande la paix en échange de son livre. Restez, mais laissez-moi en paix7 !
Tous deux n’avaient pas achevé leur deuil. Leur isolement dans leur village isolé explique en partie cet inaboutissement. Leur parole n’avait pas circulé, trouvé une écoute publique, suscité un échange, bref les voies de la mémoire-vers-autrui.
Louise n’a pas désarmé et finalement, elle a franchi les obstacles. Il y a eu remémoration, ne plus ressasser mais essayer de faire quelque chose d’utile avec ça. Elle a fait son deuil en passant au devoir de mémoire, à la solidarité, en partageant cette histoire avec le public de la télévision, avec les habitants de son village, avec le reste du monde. Louise et Jean ont continué leur engagement mémoriel après le film. Le jour de l’anniversaire, on n’est plus prostré chez soi avec ses morts, on organise des tournées et des prises de parole dans tous les lieux du village où il y a eu des victimes. Si l’on prend le trajet mémoriel de Linda, on est en présence de trois termes : la remémoration, c’est-à-dire, la sortie d’une mémoire de commémoration et de répétition et corollairement, le travail de deuil et enfin, le devoir de mémoire, l’impératif de solidarité et de justice.
L’histoire de Marianne présente des points communs avec ce qu’ont vécu les autres personnes du film. Mais avec elle, c’est tout le processus de remémoration qui est saisi par le tournage alors qu’avec Louise, celui-ci lui a fourni l’opportunité d’un 2e exorcisme.
Marianne a d’abord remis ensemble tous ses souvenirs fragmentaires du massacre. Puis au fil des entretiens avec moi, elle s’est mise en marche, littéralement. Elle voulait confronter ses bribes de souvenirs avec les lieux et avec des témoins qu’elle n’osait plus revoir depuis 60 ans. Et puis tout d’un coup, elle a surpassé la perte de sa mère, elle a voulu retrouver la fillette qui a joué le rôle de sa mère juste avant le drame, une fillette un peu plus âgée qu’elle, qui la gardait quand sa mère était absente. Elle avait trouvé un double fantasmatique de sa maman, Leni. Elle était incapable de la rechercher alors que cette figure l’obsédait. Elle restait figée dans une souffrance faite d’impuissance et de répétitions. Elle répétait de loin en loin dans le film : « Je pense sans cesse à cette amie, elle est tout ce qui reste de ma mère, mais je n’ai rien fait pour la retrouver ». Ensuite nouveau dépassement, elle me dit en langage des signes: « Trouve-la, amène-la moi !».
Marianne et Louise se sont emparées de mon film. Je n’ai pas tout de suite compris ma complicité dans ce transfert, elles avaient senti que j’étais un bon terrain, mon histoire familiale est proche de la leur. Et notre collaboration s’est jouée d’inconscient à inconscient8. Et mon film est la chronologie de ce détournement. Grâce à elles, il est surtout un dévoilement in vivo du fonctionnement de la mémoire avec tous ces passages de la répétition, des résistances, de l’interdit à un exercice têtu, la conquête de la liberté et de la parole, la mémoire-vers-autrui.
Les analyses, les réflexions, les conceptions que je développe dans ces lignes, me sont venues après l’achèvement du film, dans l’après-coup. Bien sûr, une partie de celles-ci ont participé à mes motivations de réalisateur, nourri mes choix. L’autre partie est liée à mes pertes de la guerre : elle m’a enlevé un grand-père et mon père résistant ainsi que de nombreux camarades de combat, c’est là mon trou noir !
Mais il faut ne pas inverser les deux activités : créer une œuvre et écrire une réflexion sur elle après, multo post. Réaliser un film engage la subjectivité et les intuitions de l’artiste, son imaginaire, pas ses conceptions intellectuelles même si elles sont là et agissent : il cherche à trouver des correspondants plastiques aux émotions et aux paroles, il met en scène des personnes, les dirige, induit leurs propos. Il ne s’agit pas d’habiller des discours avec des images. Un film avance plan par plan comme un tableau couche par couche, il est un parcours sensoriel et intellectuel, qui met en jeu des mécanismes d’adhésion, d’identification, de rejet, le doute, le refus, l’accord, les affects…
Ce film a touché certaines profondeurs de la psyché. Il a déclenché adhésion et rejet avec la même force. Il gêne. L’incompréhension l’a emporté dans les milieux du cinéma. Aucun festival ne l’a retenu, ni les généralistes (FIPA, Le Réel, Filmer à tout prix) ni même ceux consacrés à l’histoire (Pessac). Pourquoi cette dérobade ? Le film nous apprend que nous pouvons être hantés par des souvenirs indicibles en face desquels nous restons figés et passifs, mais qu’une émancipation reste difficilement possible !
Ce qui me paraît intéressant avec le recul, c’est ce lien esquissé entre mémoire et solidarité, mémoire et justice. On passe du rapport avec le passé et ses horreurs à une sorte de projet qui nous oblige hic et nunc, aujourd’hui dans notre monde. Essayer de le partager, en tirer un sens utile. Utile parce que l’actualité a rejoint ce passé avec depuis 20 ans, un génocide et de nombreux crimes contre des populations désarmées. On passe donc d’une fidélité au passé et à nos victimes à un projet de justice, on se projette dans l’avenir, on s’intéresse aux autres victimes. Qu’est-ce qui peut justifier l’évocation des crimes contre l’humanité du XXe siècle sinon leur intérêt prospectif par rapport aux crimes d’aujourd’hui ? Cette prise conscience peut disparaître avec les témoins, si nous cédons sous le poids des finalités pratiques. La perte s’assimilerait à une adhésion tacite avec les faits, à un renoncement.
La fidélité aux victimes implique l’idée d’héritage ou de dettes. Nous sommes des héritiers parce que nous sommes redevables à ceux qui nous ont précédés, de ce que nous sommes. La mémoire peut et doit entretenir notre lien avec eux, nous nous sentons leurs obligés.
Mais comment s’acquitter de notre dette sinon par la solidarité avec nos contemporains ; la solder à des morts induit le symptôme de hantise et ses dérives pathogènes (mélancolie, névrose de destinée, compulsion de répétition9) ou abusives (magistère de la parole au nom des victimes, en instrumentalisant leur mémoire, pour notamment défendre des violences politiques). Nous devons nous intéresser aux autres victimes, pas seulement celles du passé, mais celles d’aujourd’hui qui meurent souvent à cause de notre indifférence. Une mémoire-vers-autrui10 – le devoir de mémoire, nous instituant obligés des victimes, pas seulement les nôtres – est le meilleur moyen de payer notre dette.
Ceci dit, je m’en voudrais de valoriser la résilience de mes témoins par rapport à ceux qui n’y accèdent pas, en recourant à l’argument de la normalisation: ils s’en sont sortis, les autres ne seraient que des laissés pour compte. Non, les sujets captifs de la hantise ont laissé des témoignages et des œuvres immenses. Dans les arts ou la création, ils ont pu exprimer leurs cris de désespérance face au scandale de la mort et défendre le recours à la présence des morts-vivants. Sartre les appelaient les « martyr(s) de l’intériorité ». Ils l’ont fait, écrivait Sartre, en niant le savoir sur l’irréductible subjectivité comme un faux savoir, revendiquant leur« prétention d’être dans leur singularité, au cœur de leur finitude, l’absolu-sujet, défini en intériorité par leur rapport absolu avec l’être11 ».
Ce plaidoyer de Sartre étonne, mais ne surprend pas. Pour lui, la liberté du sujet est telle qu’elle nie le savoir historique comme savoir de la mort et pose le nécessaire « scandale » de la transhistoricité de l’homme. Celle-ci met l’accent sur l’importance de la singularité humaine et son rôle dans l’histoire12 qui ne cesse d’interagir avec nous au-delà des temps, grâce aux œuvres de l’écrit et de l’image. Mais ce n’est pertinent que pour ceux qui précisément ont laissé une œuvre et ont fait de nous leurs héritiers. Concernant l’immense majorité des gens, j’estime que seul l’historien est capable de nous révéler leur universel singulier, en remontant vers eux à travers les archives, devenant leur porte-parole dans leurs livres. Et j’ajouterais : grâce au cinéma de fiction et documentaire depuis un bon siècle. Ce fabuleux conservatoire de la mémoire et du monde vécu, a complété les autres arts.
Ni le texte fondateur de Freud sur la remémoration, ni le concept de mémoire-vers-autrui ne contredisent l’idée de transhistoricité et sa visée. Au contraire, puisqu’ils concrétisent un ancrage lié à notre avenir, en théorie et en pratique. Ils associent ainsi la relation d’intériorité des sujets à la nécessité du processus historique (Sartre). La mémoire apaisée et juste (Paul Ricoeur) se fonde sur le recours à la justice, sur la vérité et sa transmission, elle est un projet au sens sartrien du terme.
André Dartevelle
Mai 2012
1 Leni, la vie après la mort, film documentaire de 90 minutes, écrit et réalisé par moi, produit par la société Halolalune (Marianne Binard) avec Arte GIE (Jacques Laurent), Canvas et la RTBF en 2004, diffusé en novembre et décembre 2004.
2 Sur la perlaboration, bonne synthèse dans J. Laplanche et J-B Pontalis : Vocabulaire de la psychanalyse, Paris PUF, 1994, pp 305-306. Les termes anglais et allemand traduisent mieux la violence du processus et la résistance que les sujets lui opposent (Working-through, Durcharbeitung).
3 Les philosophes de l’existence ont attiré mon attention sur le fait que la vérité du vécu importe autant que sa communication, quel qu’en soit le medium. Il y a unité entre formulation et transmission comme on le lira plus loin.
4 Sur ces notions du travail de mémoire à l’œuvre dans l’historiographie et les mémoires de la 2e guerre, je dois beaucoup aux irremplaçables synthèses du penseur Paul Ricoeur : La mémoire, l’histoire, l’oubli, Paris, 2000, pp 95-96, 106-109 et plus loin, les chapitres sur l’oubli et le pardon.
5 Sur cette notion d’êtres du désordre, lire le beau chapitre de Georges Balandier : Le Désordre. Eloge du mouvement, Paris, 1988, pp 97-114.
8 Sur ces modernes Antigones, voir le développement de Claudio Magris : Utopie et désenchantement, Paris, 1999, pp 327-339 : Qui écrit les lois non écrites des dieux ?
9 J. Laplanche et JB. Pontalis, op cit, pp 279-280.
10 Ce concept me permet de faire le lien entre les dimensions de la mémoire décrites ci-avant et la recherche d’une écoute publique interactive en opposition à la commémoration rituelle.
11 JP Sartre à propos de Kierkegaard: L’universel singulier, in Situation IX, Paris, 1972, pp 152-190.
12 Les arts baroques liés à la Contre-Réforme déploient l’extraordinaire imaginaire individuel et collectif des créateurs, voilant et dévoilant en même temps les horreurs des guerres de religion (alors que les arts lié à la Réforme ont exprimé l’immanente beauté de la vie quotidienne en réaction contre le culte de la mort), universalisant la singularité et singularisant l’universel. Il en va de même avec l’expressionnisme et le surréalisme avant et après les boucheries de la 1ère guerre mondiale et l’expressionnisme abstrait après la seconde. Les crimes contre l’humanité sont eux-mêmes transhistoriques, et nous sont présents grâce à l’image qu’en livrent les mémoires singulières.