Prisons et camps d’internement politique dans le monde arabe : rêve d’un chantier mémoriel et matériel en temps révolutionnaires

Johnny Samuele Baldi (Archéologue doctorant Ifpo Beyrouth)

Wilde (1909 : 58, 13) avait probablement raison de croire que “where there is sorrow there is holy ground” et que “the supreme vice is shallowness”. Mais de la part d’un reclus (en tant qu’homosexuel) à Reading Gaol, il était probablement trop facile de constater que la terre toute entière déborde, d’une part, de souffrance digne de considération et, de l’autre, d’indifférence généralisée. La mémoire collective (Halbwachs 1941) d’un évènement ou d’un phénomène, au contraire, est une construction sociale qui se fait sur – et contre – l’indifférence de ceux qui n’en ont pas été protagonistes. Dans la plupart des cas, les protagonistes se font témoins des seuls aspects lumineux de l’histoire, en gardant un silence prudent, apeuré ou traumatisé sur les autres (Bermejo Barrera 1999, 2002). Tandis que souvent, pour les rares témoignages qui percent ce silence, la mort naturelle des protagonistes ramène à la normalité l’équilibre entre souffrance et indifférence, de manière à ce que la deuxième l’emporte sur la première.
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Avant l’oubli ou les commémorations rhétoriques : pour une mémoire matérielle de l’internement politique en Syrie

Johnny Samuele Baldi (Archéologue doctorant Ifpo Beyrouth)

En disant que « we live in collectives [of humans and not-humans], not societies », Bruno Latour (1999 : 193) exprime génialement une évidence à la fois archéologique et quotidienne. Quitte à contredire la vision traditionnellement platonicienne de la culture comme ensemble d’Idées abstraites et intangibles, cela souligne les aspects concrets de cette même culture, où rites, hiérarchies, principes, règles, droits ne pourraient avoir aucune existence et efficacité s’ils n’étaient pas liés par des jonctions matérielles. Comme pour exprimer que la dissidence politique ou la répression, en tant qu’idées parmi d’autres, ne peuvent être réduites à des séries interminables d’objets, mais, en même temps, ne peuvent exister sans tracts, journaux, menottes, tables de discussions, livres, stylos, instruments de censure, bulletins de vote, etc. Sans une matérialité faite, entre autres, de geôles, hommes, portes métalliques, femmes, bâtons, enfants, câbles électriques, la dissidence politique et sa répression ne seraient, en Syrie comme ailleurs, que des expressions rhétoriques.

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